[Ndlr : Article long mais on comprendra que sous la tente avec la nuit qui tombe à 18h30 tu fais vite le tours des occupations]

Cette phrase je l'ai entendue de la bouche de plein de personnes! Le mec de l'auberge, le mec chez qui j'ai acheté le gaz, le mec chez qui j'ai acheté la carte topographique de la Cordillera Huayhuash (elle est chère la carte! Oui c'est parce qu'elle est Suisse! Ha ok alors! #MerciJG), le mec assis à côté de moi dans le bus et j'en passe....

Effectivement je suis partie faire le tour de la Cordillera Huayhuash, à 6h de (plusieurs) bus au Sud de Huaraz, seul et en autonomie. 95% des gens le font en groupe avec guides et porteurs car 1. C'est galère pour y aller 2. Y'a 50% de "chemins" et 50% de "ça doit être par là! T'es sur? Bah sors la carte si tu me crois pas! Mais c'est toi qui l'a! Ha non je te l'ai passée ce matin! C'est toujours pareil avec toi!" 3. Il faut se trimballer plusieurs jours de bouffe et tout son équipement 4. C'était dangereux il y a quelques années (tout va bien maman!) 5. C'est difficile.

Pourquoi c'est difficile Jamy? Bonne question Fred! La Cordillera Huayhuash en chiffres c'est:

• 30km de long par 15km de large : une Cordillère toute mimi et compacte. Le tour du bois de Vincennes avec quelques bosses en plus.
• Un tour officiel de 110km et 5700D+
• Entre 7 et 14 jours de marche à plus de 4000m d'altitude 
• Absolument aucun balisage (ni panneaux ni peinture sur les rochers) et des traces de passages très inégales. Le luxe des GRs français est loin...
• 2 ou 3 passages à plus de 5000m d'altitude
• Au moins 9 passages à plus de 4600m d'altitude 
• Des nuits en tente entre 4200m et 4500m avec les conditions climatiques qui vont avec
• Des montagnes enneigées à plus de 6000m, des glaciers énormes qui craquent en pleine nuit dans un bruit assourdissant, des lacs turquoises, des parois rocheuses vertigineuses... pour un trek réputé comme étant l'un des plus beaux d'Amérique du Sud ( Picsou Magazine numéro 20932 - Mai 2008)

Bref pour toutes ces raisons je ne pouvais pas passer à côté! La cheville étant en bonne voie et ayant pu tester le matos et la nourriture (plus la quantité nécessaire que la qualité #PolentaForEver), je me suis laissé 2 jours de préparations / repos à Huaraz et départ 4h du mat' samedi matin pour un long périple en bus. Comme d'habitude ça donne l'occasion de parler à plein de gens, mes voisins de bus, la dame qui me sert un café chaud à la première halte, la dame qui passe voir sa famille car "c'est le weekend !!!" (#Laurie)...

Après avoir parlé avec un guide (malynx!), étudié la carte et les étapes, je pars pour 8 ou 9 jours avec tout ce qu'il faut pour tenir tout ce temps en altitude (froid et temps variable) et en marchant (manger manger manger manger). Mon sac doit faire 12-13kg ce qui est plutôt stylé! 

Jour 1 : Pocpa (3480m) - Quaterlhuain (4170m) - Cacananpunta (4690m) - Laguna Mitucocha (4260m)

Quitte à bien commencer je fais coup double et fais 2 étapes d'un coup pour ce premier jour. Le bus me laisse à Pocpa, à 15km du départ officiel du Trek en fin de matinée. Je traverse des zones minières glauques et sans grand intérêt puis finit par arriver au départ, la ou la plupart des groupes passent leur première nuit. Il est 13h30 donc j'enchaîne direct par une belle ascension qui m'amènera en plein dans la Cordillera Huayhuash ! Les contrastes et les jeux de lumières donnent au paysage (la Quebrada Caliente) qui s'étend à perte de vue un aspect surréaliste. Ca va être chouette! Je plante ma tente au pied du Nevado Rondoy (5870m) au milieu d'un champs de merdes d'ânes et de vaches (une des spécialités du Pérou j'ai l'impression).

Jour 2 : Laguna Mitucocha (4260m) - Carhuac (4630m) - Laguna Caruacocha (4150m)

Alors la c'est la tuile! La sauce au piment que j'ai mis dans mes pâtes hier soir n'est pas passée, j'ai mal dormi et me réveille avec la nausée et complètement dans les vapes. Heureusement l'étape du jour et courte et facile. Heureusement... Impossible de trouver mon souffle, mon sac fais 8000kg, je n'ai aucune force... c'est un calvaire... au bout d'une heure je m'arrête faire une sieste forcée. Ca va être long finalement cette journée! Je finis par arriver tant bien que mal au camps au bord de la Laguna Caruacocha. L'endroit est magnifique avec le combo désormais classique lac + montagne (Nevado Yerupaja Chico - 6089m) + glaciers. Un autre combo sera magique pour me remettre sur pied, sieste + bouillon de poule + tentative de dressage de chien + grosse nuit.

Jour 3 : Laguna Caruacocha (4150m) - Siula Punta (4830m) - Huayhuash (4350m) 

Je me réveille sous les nuages mais en forme! Direction Siula Punta en passant par un endroit mythique du Trek : une perspective de 3 lacs surplombés par autant de sommets enneigés et de glaciers. Malgré les nuages qui bouchent les sommets et la neige qui fait sont apparition, la vue est splendide!

Arrivé à Siula Punta je dépose mon sac et monte un peu plus haut en courant sur les crêtes, quel énorme kif!!

Le passage de l'autre côté du col (4830m) m'amène en Écosse (plus ou moins un glacier) avec un paysage plutôt humide et marécageux. Le camps est sympa avec la vue sur le Nevado Trapecio (5653m) dont je vais me rapprocher le lendemain. La nuit s'annonce calme et sèche en plus, cool...

Jour 4 : Huayhuash (4350m) - Trapecio Punta (5030m) - Cuyoc (4510m)

Cimer la nuit calme et sèche! Cimer Jean-Michel Météo !! Il a neigé pendant la nuit!!! Le camps est aussi blanc que les fesses de doudou, ma tente pareil et il neige toujours au réveil! Je me retrouve avec deux couples, australiens et américains, qui font le même circuit et les mêmes étapes que moi. L'étape qu'on avait prévu de faire aujourd'hui est censée être du hors piste total : pas de traces, carte et boussole obligatoire pour couper à travers la montagne. Encore plus simple avec la neige! Du coup on se dit qu'à 5 on sera meilleurs niveau orientation. Et on a raison! On passe une vrai journée de baroudeurs à comparer le relief qui s'étend devant nous avec notre carte topographique et nos instructions. On avance toute la matinée dans la neige, on marche au pied de l'immense glacier du Nevado Trapecio puis on passe un col à 5030m d'altitude avec un vent à défriser Salim. De l'autre côté on se croirait sur une autre planète, des lacs turquoises surplombés par des parois brunes et lisses avec quelques zones toujours enneigées, c'est irréel! Le tout avec une alternance nuages - soleil - pluie - neige complètement folle.

On finit par arriver à un camps ou on sera les seuls à passer la nuit, à l'image de cette journée passée sans croiser personne.

Jour 5 : Cuyoc (4510m) - Paso San Antonio (5020m) - Cuyoc (4510m) - Paso Jurau (5060m) - Cutatambo (4270m)

Bordel il fait beau!! Première fois que je suis réveillé par le soleil et non pas par le vent, la pluie ou la neige! Pour fêter ça je décide de faire 2 cols à 5000m dans la même matinée : Paso San Antonio et Paso Jurau (le chemin normal pour cette journée).

Je commence par San Antonio, je suis seul au monde, la montée est ultra raide et le souffle de plus en plus court. Mais arrivé en haut (5020m) le paysage qui s'offre à moi est juste une des plus belles choses que j'ai pu voir dans ma vie! D'un côté des montagnes beiges dont seul le sommet est enneigé et de l'autre des montagnes beaucoup plus imposante noires et couvertes de glaciers qui tombent à pic dans un lac turquoise. Le tout accompagné par un Condor des Andes qui me survole. Je suis scotché. 

Bon j'ai quand même une étape à faire alors je redescends par ou je suis venu au pas de course et attaque le deuxième col. Toujours aussi raide avec en bonus des passages dans la neige sur la dernière partie. Sans mes bâtons j'aurais fais 3 tours dans mon slip et serait redescendu en quelques secondes! Le paysage en haut est toujours aussi beau quoique plus nuageux. La descente vers le lac turquoise et le glacier qui le surplombe fait chauffer les cuisses comme pour me faire mériter une telle vue.

Le campement du soir est un champs bosselé couvert de merdes d'ânes et de vaches. J'en profite donc pour apprendre aux australiens que j'y retrouve à jouer à "Sèche ou pas sèche?" pour nettoyer la zone à peu près plate que j'ai trouvé...

Jour 6 : Cutatambo (4270m) - Laguna Sarapococha (4550m) - Huayllapa (3500m) - Huatiaq (4270m) 

Coup double! Il fait de nouveau beau! L'étape du jour est une longue descente de 3h vers le seul village du Trek, Huayllapa Puis une longue montée de 2h pour planter ma tente à Huatiaq.

Mais étant donné le soleil qui se lève au dessus des montagnes plantées devant ma tente (et non l'inverse) j'en profite pour faire un détour de 3h pour monter à la Laguna Sarapopocha (4550m) aperçue la vieille depuis mon perchoir à 5000m.

Je suis en forme au réveil (malgré le vent de fou cette nuit) ce qui se caractérise par: je me perds à l'aller, je tombe le cul le premier dans une rivière évidement gelée en la traversant, je me re perds au retour. Beau gosse. Bon ça valait le coup quand même, c'était juste splendide comme à chaque fois mais avec cette fois une réflexion triste sur le réchauffement climatique qui a transformé ces dernières années une large partie du volume des glaciers des Cordillera Blanca et Huayhuash en cette multitude de lacs d'altitude avec leur eau turquoise (entre 400 et 500 sur les deux sites) . Comme quoi une merveille de la nature peut bien cacher une faute/catastrophe/aberration/erreur (rayer la mention inutile) humaine aussi désastreuse et dévastatrice que le réchauffement climatique... ce Trek permettant de s'approcher aussi près des glaciers à une telle altitude en est la preuve parfaite malheureusement.

Jour 7 : Huatiaq (4270m) - Yaucha Punta (4950m) - Laguna Jahuacocha (4100m)

Coup du chapeau! Pas un seul nuage à l'horizon par contre qu'est-ce que je me suis caillé cette nuit! La nuit la plus froide depuis le début avec le bas de mon sac de couchage qui a commencé à givrer...

Je profite du grand soleil du matin pour ranger mes affaires tranquilou minou puis départ pour l'avant dernière longue étape de 6h annoncées. Pas la grande forme ce matin, je galère à trouver mon souffle et mes cuissots mais un peu après midi, au pied de la grosse et dernière difficulté du parcours, je retrouve mes camarades Américains qui m'offrent une bière à déguster en haut du dernier sommet de cette belle aventure! Pourquoi je n'y ai pas pensé bordel à cul! Ca me redonne la pêche et leur dit qu'on la boira ensemble en haut. Quelques temps plus tard on a donc pu tous les trois boire notre bière la plus "élevée" à ce jour : 4950m.

Cette dernière vue sur la Cordillera Huayhuash est sublimée par une dizaine de Condors des Andes (oiseau symbolique du Pérou, immense et majestueux mais assez rare à voir en liberté, enfin il faut le mériter quoi...) qui se laissent flotter autour de nous et des sommets alentours à plus de 5000m d'altitude. Magique.

À moins qu'ils n'attendent leur repas... car la descente est ultra périlleuse: on suit une crête entre 4800m et 4900m pendant 40 minutes (et on sort la carte car on était pas où on/je pensais être et évidement comme c'est la tradition les "chemins" se font rare) puis arrivé à un sommet sans issue on aperçois le camps du soir, dans la vallée en contrebas, au bord d'un lac surplombé de montagnes abruptes. Du coup il faut bien redescendre ces 800m de dénivelé négatif super raides sur de la terre bien sèche et glissante. Un régal. Je me prend quelques taules mais au moins ca va vite! Cette dernière nuit sera l'occasion de finir les réserves (le calcul des quantités a été bon, la diversité des plats beaucoup moins #PolentaForever) et de rêver aux fruits juteux, à l'énorme pizza et aux bières que je serais en train de manger et boire demain à la même heure...

Jour 8 : Laguna Jahuacocha(4100m) - Pampa Llamac (4400m) - Llamac(3300m)

Dernier jour! Nuit moyenne pour cause de surconsommation de polenta mais levé à l'aube et en forme pour un depart à 6h30 afin d'être sur d'attraper le seul bus de la journée à Llamac qui me ramènera ce soir à Huaraz. 4h de marche, une dernière montée interminable et une dernière descente de 1000m qui me sépare d'une douche, d'habits propres et d'une grosse pizza! On va pas se mentir je sens pas ultra bon et mon bronzage montagnard n'est peut être pas que du bronzage...

Apres deux heures de piste le bus s'arrête une heure à Chiquian ou c'est jour de fête et de marché! J'en profite pour déjeuner sur un tabouret en pleine rue un bon poulet frit, un peu de gras ne peut vraiment pas me faire de mal! #PerouFriedChicken. En finissant de traverser le marché pour attraper mon dernier bus, je prends une glace chez un mec qui les trimballe dans de grosses caisses en polystyrène à l'arrière de sa voiture, je comprend rien au parfum que le mec me propose alors je dis oui et je me retrouve avec une glace mi coco mi ananas dans laquelle j'ai la chance d'avoir aussi des cacahuètes! Le retour à la civilisation fait plaisir! 

Je profite des 2 dernières heures de bus pour regarder les photos de la GoPro pour la première fois.... Putin quelle semaine ÉPIQUE !!!! J'ai ultra kiffé, on peut dire que le voyage commence bien!

Au final ces 8 jours et 7 nuits en autonomie auront été:

• 0 douches mais 7 bains de pieds glacés !
• 3 à 4 litres d'eau filtrés chaque jour
• 120km parcourus à plus de 4000m d'altitude 
• 7000m de dénivelé positif et autant en négatif dont 3 passages à plus de 5000m (allez 4 à 50 mètres près)
• 700 grammes de pâtes nature 
• 300 grammes de polenta nature
• 5 bouillons de légumes et un paquet de café instantané 
• 1 boîte de thon et 2 avocats durs comme de la pierre 
• 24 tortillas et 30 tranches (soit 300 grammes) de "jamonada de pollo" pour le déjeuner 
• 12 barres de céréales, 400 grammes d'amandes et de noix de cajou
• 0 ampoule, 1 brûlure et 1 rhume
• 2 culottes

Dans les jours qui viennent je vais quitter la montagne pour remonter le nord du Pérou tranquillement en bus, pour me culturer un peu et manger des Ceviche puis direction l'Équateur!